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Le point central de Sarajevo, où sont diffusés les matchs, est devenu un rendez-vous des mordus des fameuses images autocollantes à l’effigie des joueurs du mondial.
Trentenaires en complet noir et attaché caisse, mères de famille accompagnant leurs enfants, petits groupes d’adolescents : ils se réunissent depuis le 15 mars, jour de lancement de l’édition 2014, pour échanger leurs doublons et espérer compléter leur collection. Une folie nouvelle. Tous veulent pouvoir dire qu’ils ont vécu ce mondial. Le premier.
Maja Brankovic, permanante à Transparency international :
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« Pour les gens de notre génération il n’y a pas de problème à vivre ensemble. Je suis bosniaque et mon meilleur ami est moitié serbe moitié croate. De la guerre nous nous souvenons quelques bruits de bombes, des images, pas beaucoup plus.
Cette Coupe du monde nous fera du bien pour oublier nos problèmes, le manque de travail, la corruption.
Ici même pour jouer au foot il faut payer, même si ça commence à aller mieux. »
Parmi eux : Adnan, 25 ans.
Il étudie la communication et milite au Parti démocrate, le seul parti multiculturel.
C’est une autre Bosnie, celle qui joue unie et qui gagne, celle qui s’est montrée solidaire au-delà des différences religieuses après les inondations de la mi mai, que les Bosniens sont fiers de voir représenter aux yeux du monde.
Cet hiver une autre foule inédite fendait les rues bosniennes : un vent de colère parti en février de Tuzla, une ville ouvrière du nord sinistrée par le chômage et les fermetures d’usines. Des milliers de manifestants prenaient les rues et ciblaient les sièges administratifs locaux, dont plusieurs ont été détruits par les flammes. 4 premiers ministres de canton ont dû démissionner (sur 10 au total) et le pouvoir a dû faire un signe d’ouverture, à quelques mois de l'élection présidentielle.
Avec un mot d’ordre d’unité interethnique, le mouvement cible les élites. Les Bosniens sont las de la classe politique héritée de la guerre qui conserve le pouvoir. Les accords de Dayton, signés en 1995, ont installé un système pyramidal très lourd, avec 4 niveaux de représentant (Etat, régions autonomes, cantons et villes) comptant chacun leur parlement et leur gouvernement. Autant qu’en France, pour un pays 13 fois plus petit.
« Du sommet de l’Etat jusqu’à la vie quotidienne, il n’y a pas un endroit où la corruption ne puisse être trouvée, raconte Maja Brankovic, à Transparency international. On peut évidemment faire des choses sans la corruption, mais les gens ne sont pas égaux. »
Faute d’investisseurs, les immeubles en ruines sont encore nombreux à Mostar, le long de l’ancienne ligne de front qui a vu s’affronter les Bosniaques et les Croates. L’artère coupe encore aujourd’hui la ville de 70 000 habitants en deux entités administratives distinctes. Les Bosniaques à l’ouest et les Croates à l’est. Chacune ont leur gare routière, leur université.
C’est là que se réunissent chaque jour à 18 h une cinquantaine de manifestants, malgré les arrestations et les amendes de 50€, envoyées systématiquement aux orateurs. « Nous nous battons pour notre droit de travailler, garder notre travail et avoir une vie normale, pas dépendante de l’aide internationale », déclare une manifestante.
Depuis le coup de chaud de février, la mobilisation s’est resserrée autour de quelques centaines d’individus, la plupart sans aucune expérience de l’action politique. Des assemblées populaires se réunissent dans plusieurs grandes villes de Bosnie : les plénums.
Fin février, l’assemblée du canton de Sarajevo adoptait toutes les délibérations du plénum de la capitale, reconnaissant la légitimité de cet organe de démocratie participative.
Ce début de « printemps bosnien » est surtout une bizarrerie dans un pays qui reste peu habitué aux manifestations politiques, même si elles sont plus nombreuses depuis quelques mois.
Muharem Hindic, alias Musica ("le moucheron"), est resté 5 mois seul à manifester sur la place de Mostar qui relie l’Est et l’Ouest. En févier il était rejoint par 5000 personnes.
« Je sentais que le changement allait arriver. Pas seulement en Bosnie, mais dans le monde entier. Nous entrons dans une nouvelle ère. Il faut l’inventer avec les jeunes », raconte l’ancien combattant bosniaque qui déteste la guerre.
Il avait 20 ans pendant la guerre et a perdu beaucoup de proches.
« Le nationalisme est un fascisme, il fait démarrer les guerre. »
Le mouvement est présenté comme bosniaque avant tout, notamment par la classe dirigeante, ce dont il se défend farouchement. « Mais en Bosnie, on ne peut pas faire les choses hors de la lecture ethnique », raconte un manifestant à Mostar. « Des lieux dédiés à l’unité, il y en a très peu. Quelques organisations qui n’ont pas le pouvoir de faire changer les choses », raconte Amela Saric, 49 ans, qui vit avec ses enfants et sa mère, retraitée avec 380 KM de pension mensuelle (190 €).
En Bosnie, le salaire moyen est de 400 euros par mois, le chômage atteint les 30% et dépasse même les 50 % chez les jeunes. « Ici, pour avoir un travail, il est nécessaire de connaître quelqu'un, surtout dans les institutions publiques », explique Maja Brankovic de Transparency international.
Le situation du foot bosnien n’est pas meilleure même si elle s’améliore depuis quelques années. En novembre 2009, deux hauts responsables de la fédération de football sont condamnés pour fraude fiscale et abus de pouvoir (cinq ans de prison).
Pas un club ne dépasse le budget des plus petites formations de Nationale française (3ème division), son championnat, peu médiatisé, se bat pour conserver ses joueurs.
En 2011, la Fifa a même suspendu la fédération bosnienne car elle n’avait pas les statuts conformes au règlement. En cause, la direction tripartite de l’organisation. Comme dans les autres institutions du pays, la fédération de football était dirigée par un Croate, un Serbe et un Bosniaque. Suite à cette sanction, les dirigeants ont été obligés de se plier aux exigences de la Fifa et d’élire un seul président.
Une avancée importante encore difficile à transposer dans les institutions politiques.
Marie Chambrial & Erwan Manac'h
www.passages-blog.fr
« C’est un environnement, une culture que nous devons faire évoluer.
La Bosnie n’est en démocratie que depuis 20 ans. Les gens ne sont pas habitués à réclamer leurs droits, à demander comment l’argent de leurs impôts est dépensé.
La corruption est une conséquence logique dans un processus de transition, après des années de socialisme où le travail, le logement, la santé étaient assurés par l’Etat.»