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« J’ai vécu les trois années et demie de siège à Sarajevo. J’avais 14 ans et ma mère a été tuée par l’armée serbe dès le début de la guerre. Je ne peux pas oublier, mais je peux pardonner. Et nous devons réussir à vivre ensemble.

C’était hier. Nous avons besoin de temps, mais les choses changent doucement. Et le sport connecte les gens mieux que n’importe quoi. Même si la Bosnie perd ses trois matchs au Brésil cela ne fait rien. Nous avons nos héros. »

Comme son père avant lui, Asmir emmène son fils de 2 ans à chaque match du FK Sarajevo.

Les yeux rutilants de plaisir.

C’est une scène inouïe pour la jeune nation bosnienne, encore étourdie par le cauchemar de la guerre. Une foule en liesse arpente les rues des grandes villes jusqu’au petit matin. 50 000 personnes, en pleine nuit, pour accueillir les 22 joueurs à Sarajevo, un soir d’octobre 2013, un ticket pour le mondial brésilien en poche.


Depuis, la fièvre ne retombe pas. Dans les stations-services, les boutiques de souvenirs, les centres commerciaux, les gadgets fleurissent aux couleurs jaune et bleu du drapeau bosnien. Universitaires ou chômeurs, enfants ou grands-parents, tous vibrent d’une authentique fierté. Leur première aux yeux du monde. 

Choisi en 1998 par le haut représentant international pour la Bosnie. Le triangle jaune représente la forme du pays. Le bleu et les étoiles rappellent les couleurs de l’Europe et  l’adhésion du pays au Conseil de l’Europe. 

Scroller pour passer

« Du poison dans le cerveau »


Dix-neuf ans après la guerre entre les Serbes orthodoxes, les Bosniaques musulmans et les Croates catholiques pour l’indépendance du pays, les traces du conflit restent omniprésentes en Bosnie jusque dans la structure même de l’Etat. Le système mis en place par les accords de paix en 1995, sous tutelle de la communauté internationale, grave dans le marbre les divisons. Les accords prévoient une partition du pays entre deux entités : la République serbe de Bosnie et la Fédération de Bosnie-Herzégovine (croato-bosniaque). L’Etat est dirigé depuis 1995 par trois Présidents, représentant de fait chacun une communauté. Tout ça chapeauté par le haut représentant de la communauté internationale qui a des pouvoirs exécutifs très importants.


Le temps de la justice réparatrice n’est pas révolu. Les procès pour crime de guerre continuent de rythmer la vie des tribunaux et le tabou public demeure sur les années sombres. On compte 14 ministères de l’Education, toutes divisions administratives confondues.


« Les gens vivent encore en 1992, ils ont trop de poison dans le cerveau », soupire une habitante de Mostar, au sud du pays.

Le foot n’en est pas exempt. Les affrontements entre supporters de clubs réputés bosniaques, serbes ou croates ne sont pas rares. A tel point que les supporters de Zenica n’ont pu assister à la finale de la Coupe de Bosnie. « C’est comme ça tous les ans, note un jeune supporter devant le stade olympique, au milieu de la saison, ils interdisent les déplacements ». Ce qui n’arrange pas les affluences déjà moribondes dans les stades bosniens, souvent en piteux état.


« Les nationalistes utilisent le foot pour manipuler les jeunes. La situation économique est dure, beaucoup d’enfants sont éduqués par la rue. A 15-20 ans, ils sont très manipulables », raconte Asmir, économiste de profession.


La testostérone est aussi de sortie lors des rencontres internationales. « Nous sommes un pays avec trois équipes nationales, sourit Denan, la trentaine, habitant de Mostar, dans le sud du pays. Les Croates soutiennent l’équipe de Croatie, les Serbes la Serbie. » On a vu aussi dans certaines occasions les Bosniaques supporter la Turquie. Les supporters croates et bosniaque s’étaient même violemment affrontés dans plusieurs villes de Bosnie après le quart de finale de l’Euro 2008 opposant la Turquie à la Croatie.


« Ici personne ne supporte l’équipe de Bosnie, raconte ainsi Tijana, lycéenne dans une petite ville reculée au cœur de la République serbe de Bosnie. Car il n’y a aucun joueur serbe dans l’équipe. » Au milieu des décombres causés par la crue record qui a touché les Balkans mi-mai, l’adolescente se prépare à partir étudier à Belgrade. Comme tous les enfants de sa génération en République serbe de Bosnie, son cœur penche vers le nord. « On aime la Serbie plus que la Serbie nous aime », poursuit-elle même si elle ne nourrit aucun haine envers Croates ou Bosniaques. « Ce sont les politiques qui veulent nous diviser». Question foot, son cousin est plus nuancé. Ratko soutien surtout la Serbie, mais il scrute les résultats de la Bosnie et ne boude pas son plaisir.


Dans la petite ville rurale minée par le chômage, le nationalisme transpire. Les enfants se saluent des trois doigts levés, symbole de la trinité utilisé par les nationalistes Serbes. Le soir, dans les bars, résonnent des tubes serbes des années 1980, hurlés en chœur par des trentenaires enfiévrés. « Ici, nous sommes tous orthodoxes », lance fièrement un gaillard à peine en âge de se souvenir de la guerre.


Une liesse sans noms


Mais le nationalisme est moins présent dans la société bosnienne que dans le paysage politique, constellé de partis prêchant pour telle ou telle chapelle. A Sarajevo, capitale à majorité bosniaque, les barrières interethniques sont tombées.


Sur la pelouse aussi, la réalité contredit les discours. « Prenez le FK Sarajevo par exemple, c'est censé être un club bosniaque mais il aligne 5 Serbes sur le 11 de départ », s'amuse Asmir. 


« Nous ne pouvons pas faire la différence entre tel nom ou tel nom lorsque nous entraînons les enfants », balaye Slobodan, éducateur sportif au club de la capitale, tout juste racheté par un riche investisseur malaisien.


« Le nationalisme ne grandit pas, il est utilisé par les hommes politiques. Ils ne jouent pas la carte de l’unité pour leur carrière politique », assure Adnan, venu échanger ses cartes Panini devant un des plus grands centre commercial de Sarajevo. 

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